Donner un nouveau souffle, changer d’ère
Le coup de maître de Pierre-Yves Rochon.
De 2015 à 2017, l’hôtel Beau-Rivage Genève se lance dans des rénovations de grande ampleur. C’est à l’œil et aux mains expertes de Pierre-Yves Rochon, architecte d’intérieur de génie, que les travaux sont confiés. L’architecte porte avec lui de belles ambitions : il imagine de somptueuses suites en duplex nichées sous les combles de l’établissement. Sans jamais renoncer à l’héritage et au charme singulier de la Maison, Pierre-Yves Rochon signe à son tour le début d’une nouvelle ère.
Se renouveler au fil des époques
N’allez pas imaginer que le Beau-Rivage ait attendu 2015 pour se refaire une beauté ! Depuis 1865, date de son ouverture, l’hôtel n’a cessé de se réinventer afin de s’aligner aux modes des époques. Après tout, il ne suffit pas de se proclamer moderne pour passer à travers les aléas du temps ; c’est un travail de longue haleine, un perpétuel renouvellement.
En 1902 déjà, la façade de l’hôtel se pare de nouveaux balcons et on installe dans chaque chambre des lampes électriques et des radiateurs — un véritable luxe alors. Pendant les années folles, l’architecte Alfred Olivet s’attaque quant à lui, à la rénovation du premier étage. Les travaux se succèdent : le hall principal fait peau neuve, on déplace la salle de billard de style art nouveau, et, en 1928, on érige la pergola, face à la promenade des quais. Au tournant des années 40, la guerre paralyse l’Europe, le Beau-Rivage doit fermer ses portes. À sa réouverture, en 1944, le temps à laisser ses marques, la Maison doit se réinventer une nouvelle fois : les fenêtres, les portes, la plomberie, la décoration, tout doit être remis au goût du jour pour incarner un esprit d’élégance et de modernité.
Depuis plus de cent cinquante ans, l’hôtel Beau-Rivage se transforme, s’abreuve de l’air du temps, mais son essence demeure intacte : ni les années, ni le caprice des tendances se sont parvenus à la diluer. Pour s’en rendre compte, il suffit de prêter un œil attentif à l’atrium — véritable emblème de la Maison — et aux changements qui s’y sont opérés. D’une image d’archive à l’autre, on retrouve bien sûr les colonnades, les moulures, le carrelage, la fontaine : tout paraît si familier, et pourtant, résolument différent. Changer tout en restant le même… c’est peut-être ça le secret de la longévité.
Être à la hauteur de nouveaux défis
Lorsque Pierre-Yves Rochon prend la tête des travaux de rénovation de 2015, il voit les choses en grand. Les somptueuses suites en duplex qu’il imagine — les Penthouses Vue Lac, la Suite Impériale et la Suite Royale — nécessite de démolir et de reconstruire la toiture. Pourtant, malgré le chantier, malgré les 2 000 m2 qui prennent doucement forme, pas question de remettre en question la tranquillité et le confort des convives : l’hôtel doit continuer de vivre.
Le jeu en valait la chandelle, car le résultat est stupéfiant. Sous l’écrin confidentiel des combles du Beau-Rivage, tout évoque la chaleur, l’élégance et l’intimité : c’est un voyage en soi. Pousser la porte de ses suites aux noms illustres — Romy Schneider, Antoine de Saint-Exupéry, Charles de Gaulle, Liz Taylor… —, c’est s’immerger dans une ambiance, dans un univers hors du temps. Chacune à son caractère et ses subtilités. Des salons qui se mirent dans les eaux du lac aux chambres douillettes où l’on peut rêver sous les étoiles, la jubilation nous gagne : là-haut, la vie semble prendre une tournure quasi romanesque. Serait-ce le début d’une belle histoire ?
Visite privée : la Suite Antoine de Saint-Exupéry
Le voyage commence ici, dans un petit vestibule en marbre vert qui, d’emblée, met en perspective le salon adjacent. Parquet marqueté, tapis à la géométrie orientale, commode style Louis XV, moucharabié, vase de faïence, cheminée en marbre… les influences se rencontrent, les mondes se croisent, comme au fil de l’œuvre de l’écrivain français, Antoine de Saint-Exupéry. Genève semblerait bien loin si les fenêtres, pareilles à des cadres suspendus, n’offraient pas un paysage vivant, une ouverture sur la ville, son Jet d’eau et son lac, sur l’effervescence de la rive droite et sur le calme des sommets alpins. De part et d’autre, de beaux rideaux font deux accolades, tombant en cascade. À vrai dire, parmi toutes les merveilles que renferme le salon, ce sont ces rideaux qui nous ont d’abord frappés : les convives familiers avec le Petit Prince et les fins observateurs ne manqueront pas de déceler quelques références à ce conte universel. Vous ne voyez pas ? Mais si, regardez : les embrasses sont brodées de roses rouges tandis que les rideaux, bleu et rose, évoquent volontiers le beau manteau que porte le Petit Prince sur l’une des illustrations du livre.
Avant d’emprunter le somptueux escalier sur notre droite, nous jetons un rapide coup d’œil à la petite salle à manger, attenant à l’espace cheminée du salon. Si une pièce est propice à l’intimité et à la confidence, c’est bien celle-ci. Les essences du parquet, de la table et des quatre chaises se mêlent aux dorures d’un miroir ovale et d’un lustre perlé ; mais l’élément le plus curieux de cette petite salle reste le moucharabié, d’inspiration orientale, qui laisse deviner le vestibule par lequel nous sommes arrivés.
Montons à présent à l’étage : au sommet des escaliers nous attend une chambre coquette, rose et bleue, baignée par le soleil qui darde depuis une fenêtre au plafond. Les rêveurs auront l’impression de dormir à la belle étoile. Une fois encore, on trouve çà et là quelques notes au parfum d’Orient : bonheur-du-jour laqué de rouge et d’or, canapé et cousins bleus à glands. À cela se mêlent aussi des pièces résolument modernes comme le meuble en miroir, face au lit.
Une porte coulissant nous donne accès au dressing, passage obligatoire que nous empruntons pour nous rendre dans la splendide salle de bain de la Suite Antonie de Saint-Exupéry. Nos pieds foulent le marbre vert au sol, et nos regard parcours la pierre blanche des murs : baignoire ultra-moderne, moulures, hammam privé et cabine de douche tout de mosaïques iridescentes ; on croirait rêver. Comme dans la salle à manger, on se sent ici protégé, loin des regards et du tumulte de monde extérieur. Le moucharabié vitré qui couvre un pan de mur, au-dessus de la baignoire, y est sûrement pour quelque chose.
Au cœur de la suite, on se sent donc comme entre deux horizons, entre deux époques : Orient et Occident, élégance à l’ancienne et modernité s’entremêlent avec finesse. Pierre-Yves Rochon a réalisé un coup de maître en concevant les somptueuses suites qui couronnent l’hôtel Beau-Rivage, sans jamais en trahir l’essence : la suite Antoine de Saint-Exupéry en est l’illustration parfaite. Pourquoi ? Difficile de répondre à cette question, mais après tout, comme le dit le renard du Petit Prince, « l’essentiel est invisible pour les yeux ».
Par Eduardo Costerg
© photos Beau-Rivage