
Maxime d’Angeac réinvente le mythe de l’Orient-Express
C’est l’histoire d’un train qui défie les siècles et laisse dans son sillage un parfum de mystère et une légende intacte. Réimaginé par l’architecte français Maxime d’Angeac, l’Orient Express reprend du service, plus imprégné de l’air du temps que jamais. Si son esprit demeure intimement lié à l’effervescence de la Belle Époque et des années 20, c’est tous les codes du luxe contemporain que le train épouse à présent. Retour sur le projet d’une vie.
« L’impossible doit devenir possible, malgré les apparences. »
La simple évocation de son nom laisse entrevoir, dans l’esprit de tous, des horizons immenses : Orient Express. Le train le plus luxueux du monde laisse Paris derrière lui le 4 octobre 1883 et embarque pour son premier voyage. Un pari fou, celui de son fondateur Georges Nagelmackers qui, inspiré par son voyage aux Amériques, imagine un palace ambulant tirant un trait-union entre les capitales européennes et les portes de l’Orient. Une épopée magique qui prend fin en 1977. Si par deux fois, le train historique a été ramené à la vie dans les années 80 (sous les noms de Nostalgie-Istanbul-Orient-Express et d’Extreme-Orient-Express), l’étincelle ne prend pas et l’Orient Express retombe dans la légende.
Alors, comment ressusciter le mythe ? Le faire entrer dans le XXIe siècle avec le même éclat qu’à son âge d’or ? L’inscrire dans l’air du temps sans le trahir ? Maxime d’Angeac, qui n’en est plus à son premier coup de maître, déroule pour nous le fil de sa réflexion: « Tout a débuté autour de dessins, de croquis et de maquettes réalisés à la main. Un travail millimétré. Comme avant. En me glissant dans la peau de ses créateurs, de René Prou à Suzanne Lalique, j’ai tenté de réinterpréter l’histoire de ce train de légende, sans nostalgie aucune, mais avec le désir de prolonger son histoire, de nous transporter ailleurs. Comme dans un rêve. » Le rêve, c’est le leitmotiv qui traverse aussi bien l’histoire du train que la réflexion du designer. « Le point de départ de ce fabuleux projet est un rêve. Une histoire contemporaine qui s’inscrit dans le sillage du mythe Orient Express. Une projection dans une époque, les années 20. Dans la culture du luxe. Et de ses artisans. »
Le mouvement et l’espace comme matière
« Le futur Orient Express est d’abord un défi technique. Un objet en mouvement, complexe, sacré par la beauté du rythme, défini par les lois de la gravité, traversé par des révolutions technologiques, par l’histoire des inventions et du design. De ces principes s’est construit un projet inédit, résolument contemporain. »
Lieux des rencontres et des surprises, les couloirs du futur Orient Express sont un décor de théâtre à eux seuls. Sous un plafond voûté, ponctué des lampes « fleurs » signées maison Lalique — pièces originales récupérées au sein du Nostalgie-Istanbul-Orient-Express —, la moquette graphique rythme l’espace ; tout ici évoque le mouvement. Les larges fenêtres, comme des cadres suspendus sur les paysages qui défilent, se parent de rideaux brodés et de barres d’appui propices à la rêverie.
On passe de l’espace du partage à celui de l’intime : la chambre. Pour parer aux lignes et aux plans stricts du train, Maxime d’Angeac introduit la figure du cercle, porteuse de douceur et d’harmonie. Partout, les angles s’arrondissent et les miroirs sorcière s’amusent des perspectives. Les cloisons se couvrent de bois précieux et d’un cuir mural qui réinterprète le célèbre motif « rail » de Suzanne Lalique, tandis que les têtes de lits arborent des broderies de bois mêlant perles de nacre et bronze. Les niches se parent des panneaux Lalique « Merles et Raisins » originaux, ceux récupérés dans les voitures du Nostalgie-Istanbul-Orient-Express. Sur les tablettes en ellipse, journaux, objets et souvenirs de voyage, porte-bouteilles et verres trouvent d’astucieux agencements. Là encore, mouvement et confort s’imposent comme éléments clés. Durant la journée, canapé et sofa invitent les voyageurs au repos, à la lecture ; mais à l’heure de la Grande Transformation (le passage en configuration « nuit »), ils laissent place à un confortable lit de 2 x 1,40 mètre — c’est alors un nouveau voyage onirique qui commence. Avec subtilité et ingéniosité, la salle de bain à portes coulissantes se pare de marbre, tandis qu’un cabinet de toilette et un dressing viennent compléter l’aménagement précieux.
Agencer un espace aussi atypique que les voitures de l’Orient Express sans faire d’impasse sur les agréments du luxe relève du défi. Pour Maxime d’Angeac, la ligne directrice a toujours été très claire : « un projet à échelle humaine, inspiré par la notion du Modulor (système de proportions architecturales s’appuyant sur le nombre d’or et sur la stature humaine standard) établie par Le Corbusier en 1945, par le strict respect des proportions aux sources de la conception, et la recherche permanente du confort à bord. »
Un trait d’union entre les époques
Plus qu’un voyage à travers des espaces fabuleux, paysages qui défilent au fil des rails, c’est un voyage à travers le temps qui attend les invités à bord de l’Orient Express.
Cent quarante ans après le lancement des premiers trains de luxe, Maxime d’Angeac tient d’abord à rendre hommage aux codes décoratifs du XIXe. De larges coupoles de lumière au style Second Empire, soutenues par quatre colonnes, couvent les salons intimistes de la Voiture-Bar. Du bois de palissandre au marbre couvrant les tables, du bronze des chapiteaux au camaïeu de vert, de la moquette et des fauteuils, tout participe à l’ambiance feutré et à l’élégance du lieu. Délicieux détail : à chaque table, une pendule sonne l’heure du cocktail et du dîner. Le Bar — Pièce maîtresse de la voiture, le bar — s’offre quant à lui un comptoir tout en verre qui revisite les symboles de la maison, véritable hommage à Lalique. Différentes époques dialoguent ici sans se contredire, comme les voyageurs autour d’un verre. Rondeur, liberté, convivialité, tout y est ; et au fond de l’air, il y a quelque chose de romanesque… un parfum d’aventure.
Spectaculaire et inattendue, la Voiture-Restaurant du futur Orient Express se joue des codes et brouille les pistes. Le charme du passé se conjugue au présent : là encore, Maxime d’Angeac réinterprète le motif « rail » de Suzanne Lalique, décliné sur les cloisons grâce à la technique ancienne du carton-pierre. Des tables nappées et des fauteuils enveloppants s’alignent et se reflètent sur le plafond miroitant, éclairé par des lampes à abat-jour s’inspirant des modèles originaux. En cuisine, le chef et sa brigade s’affairent derrière une paroi en verre. Depuis la salle, on devine la chorégraphie qui s’y déroule, on entr’aperçoit la minutie de chaque geste sans pour autant en éventer le secret.
Entrer dans le XXIe siècle sans trahir son héritage, faire du nouveau avec de l’ancien, rendre la prouesse technique indissociable de l’objet d’art, mettre le mythe en mouvement… Maxime d’Angeac, en excellent artisan de la complexité, parvient à concilier tous les paradoxes de l’Orient Express. Il est de ceux que l’on appelle pour ses idées, parce qu’on le sait iconoclaste et entièrement dévolu à ses projets. En écrivant un nouveau chapitre du train légendaire, il donne à voir, selon ses mots : « Un passé recomposé, qui s’affranchit de toutes les modes, pour nous transporter dans une ambiance dénuée de superflu, où chaque détail trouve un sens. Au final, un tableau pour rêver, pensé comme une ambassade du luxe à la Française, un écrin raffiné, et sublimé par le savoir-faire et les talents des meilleurs artisans français. »
Par Eduardo Costerg