Quand la mode s’inspire des objets d’art : un dialogue élégant au Louvre

À travers les salles du Louvre, l’histoire de la mode et celle des objets d’art se tisse. Un dialogue audacieux entre des collections permanentes et 65 silhouettes contemporaines signées Christian Dior, Karl Lagerfeld ou encore Yves Saint Laurent dessinant les liens profonds et la richesse des échanges entre ces deux mondes.  Menée par Olivier Gabet, conservateur général du Patrimoine, directeur du département des Objets d’arts du musée du Louvre, l’exposition LA MODE AU LOUVRE, présentée du 24 janvier au 21 juillet 2025, invite à redécouvrir les trésors des lieux à travers le prisme fascinant de la mode. Une première dans l’histoire du musée.

Les pièces exposées racontent une histoire, celle du lien entre la mode et l’art au fil de l’Histoire. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Olivier Gabet : Hubert de Givenchy était un visiteur fréquent du musée. Karl Lagerfeld connaissait les collections du musée par cœur. Christian Dior, en son temps, était un visiteur du Louvre. Quand John Galliano créait des collections pour Dior, il observait de très près ce qu’il y avait dans les collections du Louvre, découpait des images pour créer des moodboards, Maria Grazia Chiuri est une visiteuse assidue des salles du musée… Nous posons donc la question de l’inspiration entre les objets d’art, les périodes de l’histoire et la mode contemporaine : ce qu’ils évoquent et comment ils peuvent être des sources d’inspiration, sans compter que nombre de créateurs ont été et sont des collectionneurs d’objets d’art ancien, le musée conserve la donation que fit Madame Carven avec son époux René Grog, tout comme Yves Saint Laurent, Hubert de Givenchy et Karl Lagerfeld ont réuni des collections de premier ordre. 

Il y a également une mise en avant du riche registre des métiers d’art. Si le Louvre ne conserve pas de collections de mode, nous possédons des collections textiles remarquables, avec l’une des plus belles collections de tapisseries au monde. Ces métiers d’art sont communs entre le monde des objets, tels qu’on les présente au musée, et la création dans le monde de la mode, y compris la mode contemporaine.

 En 2025, le département des Objets d’art raconte une certaine histoire de l’art depuis Byzance jusqu’au Second Empire, à travers des objets remarquables, qui ont très souvent un poids politique, historique, symbolique, une empreinte colossale. Ainsi des éléments du trésor de Saint-Denis, des objets liés au sacre des rois de France, les collections de Louis XIV, celles de Marie-Antoinette, du mobilier et des pièces de joailleries provenant de Joséphine ou de Napoléon. Le principe de présentation que nous avons conçu avec Nathalie Crinière est très respectueux à la fois des objets d’art et de mode. Ils peuvent tous deux se parler et être admirés.

Beau Rivage Suite Antoine de Saint-Exupéry chambre

La mise en avant de ce dialogue entre la mode et le Louvre est une première dans l’histoire du musée…

Olivier Gabet : Le Louvre a toujours été un lieu d’inspiration pour tous les artistes, où la création contemporaine a toute sa place, dans le domaine de la chorégraphie, des arts visuels, de la littérature. Cela paraîtrait un peu étonnant que la mode n’en fasse pas partie, puisqu’aujourd’hui c’est un champ d’expression et de créativité infini qui attire l’attention d’un public large, divers et international. Le Louvre a toute raison et toute légitimité pour s’y intéresser en présentant – ponctuellement – des expositions temporaires sur de grands sujets d’histoire de l’art, auxquels la mode contemporaine et les créateurs contemporains font écho de manière naturelle et pertinente. La meilleure façon de les faire entrer dans le musée est de les faire dialoguer avec une partie des collections déjà présentes. Finalement, c’est une manière de voir et revoir réactive nos collections permanentes, qui sont des collections historiques remarquables, d’une manière différente, à travers le regard de ces créateurs contemporains, une matière, percutante, qui parle à des publics que nous avons aussi envie de faire revenir au musée.

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Beau Rivage Suite Antoine de Saint-Exupéry. salle de bain

Comment avez-vous choisi les pièces exposées ?

Olivier Gabet :Nous exposons 65 silhouettes et une trentaine d’accessoires, provenant d’une quarantaine de maisons différentes, au coeur du département des Objets d’art, sur près de 9 000 mètres carrés.

 C’était l’enjeu principal de cette exposition. Avec d’une part, le choix inédit de la présenter dans le parcours des collections permanentes plutôt que dans un espace dédié aux expositions temporaires. Et d’autre part, la scénographie parfaitement intégrée dans les salles est assurée par Nathalie Crinière, qui avait conçu la présentation de la galerie Dior, le projet Yves Saint-Laurent ou des expositions comme Iris Van Herpen et Elsa Schiaparelli.

Les pièces de mode présentées sont des silhouettes pertinentes au regard de l’histoire de l’art, en allant, au plus tôt, vers des modèles des années 60 – notamment de Paco Rabanne – jusqu’à des modèles plus proches de nous. Karl Lagerfeld  s’était inspiré d’une commode pour créer une veste brodée par Lesage pour la dernière collection de haute couture qu’il a conçue pour Chanel en 2018. Maria Grazia Chiuri, la directrice artistique de Dior, a une passion pour la Renaissance italienne, elle est donc présentée au milieu d’un répertoire décoratif qui lui parle, qu’elle a pu parfois utiliser ou exprimer dans des créations. Jacquemus a déjà fait un défilé à Versailles autour de Marie-Antoinette. Yohji Yamamoto, tout radical qu’il soit, s’est passionné pour des formes qui font penser au XVIII siècle. Byzance a magnétisé aussi bien Gianni Versace que Dolce & Gabbana.

Parmi les silhouettes exposées, y en a-t-il une qui vous a particulièrement touché ou marqué ?

Olivier Gabet :Il y a une pièce qui sera très particulière parce qu’elle est liée aussi à l’histoire de notre maison. En 1951, Christian Dior crée une robe du soir qui s’appelle le Musée du Louvre. La robe existe toujours, elle fut achetée par la femme de Salvador Dali et est conservée aujourd’hui t conservée à la Fondation Dali. Nous n’avons pas souhaité l’emprunter, car c’est une robe extrêmement fragile, mais la maison Dior a proposé d’en réaliser une réplique patrimoniale, puisqu’ils ont tout dans leurs archives : les modèles de broderies, les dessins, les photographies de cette robe. Cette création est symbolique du rapport très charnel qu’ont eu beaucoup de créateurs de mode avec le Louvre.

La mode est donc un art à part entière ?

Olivier Gabet :La mode témoigne d’une forme de créativité qui relie très intimement les œuvres du passé à la scène contemporaine, en termes d’art et de création. Il y a un lien très fort et ce que nous voulons montrer avec cette exposition, c’est qu’il n’y a pas de hiérarchie si établie dans les expressions artistiques. Il n’y a qu’à voir en période de Fashion Week. C’est incroyable de voir qu’entre Paris, New York, Milan, Londres, plusieurs fois par an, des milliers de personnes se réunissent et que les images sont vues dans le monde entier. Il n’y a que le sport, la musique, la culture populaire et la mode qui soient capables de créer des passerelles aussi fortes entre générations et cultures.

Cette exposition offre-t-elle un nouveau regard sur la mode ?

Olivier Gabet: Cette exposition est portée par toutes les équipes du Louvre : conservateurs, scénographie, ateliers d’art, médiation et publics, communication, éditions, etc.. Dans le catalogue de l’exposition, il n’y a qu’une seule historienne de la mode qui écrit, Emilie Hammen. Tous les autres textes sont pensées et écrits par des conservateurs du musée du Louvre, tous érudits et connaisseurs. Nous leur avons demandé  de regarder la mode contemporaine avec leur œil scientifique et expert, et de donner leur point de vue. Nous n’avons pas fait appel à des spécialistes de mode, car à mes yeux, ce n’était pas le sujet, mais de se tourner vers les véritables spécialistes des armures, de la tapisserie, du mobilier du XVIII siècle, car leur regard, informé, importe. Je dois dire que cet angle de vue a fasciné les créateurs de mode et les maisons avec lesquels nous avons travaillé.

Beau Rivage Suite Antoine de Saint-Exupéry. salle de bain

Cette exposition est-elle la première d’une série d’expositions consacrées à la mode ?

Olivier Gabet: Il y a plusieurs portes d’entrée pour parler de la mode de manière différente. Ici, nous levons juste le voile sur une petite partie de ses inspirations, mais nous pourrons un jour réfléchir à ce que pourrait être la suite de cette exposition, sous un angle différent. Pourquoi ne pas interroger les collections de peinture, les antiquités grecques, les antiquités égyptiennes, parler du dessin… Le Louvre est universel et encyclopédique, nous n’avons pas envie de nous arrêter en si bon chemin…

Par Claùdia Ferreira 

© photos Musée du Louvre