Gino Forgione, Solo Ferrari
À la tête de Modena Cars, un amoureux — et encore, le mot est faible — de bolides et d’adrénaline : Gino Forgione, l’homme d’affaires, le pilote amateur, qui a construit sa vie comme un circuit de course autour de Ferrari. Fort de l’expertise inestimable qui définit Modena Cars, il retrace pour nous les contours d’une passion qui l’a mené de Lausanne à Genève, de Monza à Abu Dhabi, et plus loin encore. Il y a du chemin à parcourir, mais cela ne fait rien. M. Forgione vit intensément son engagement et vibre pour l’authenticité et pour la vitesse.
Les mains dans le cambouis, la tête dans les étoiles
Cette passion pour l’automobile, Gino Forgione la nourrit depuis 1979, date à laquelle il commence son apprentissage de mécanicien. Il raconte :
« À l’époque, la deuxième édition du salon automobile se mettait en place à Palexpo. Le directeur du grand garage dans lequel je travaillais m’a dit un jour “Gino, on a besoin de rabatteurs. Tu ne présentes pas trop mal, tu as une bonne tchatche, tu connais pas mal de monde, on t’embarque”. J’ai été engagé pour deux week-ends et effectivement, je connaissais du monde. À l’époque, en plus de mon apprentissage, je travaillais en boîte le week-end, je faisais du porte-à-porte, ce genre de petits boulots pour arrondir mes fins de mois. Pendant le salon, je me suis très bien débrouillé, au point que l’on m’a fait miroiter un poste de vendeur à la fin de mon apprentissage. Finalement, ça ne s’est pas fait et, un peu frustré, j’ai voulu me réorienter et vendre des appartements. Un de mes amis m’a ramené à la raison en me disant “écoute, Gino, ce n’est pas possible, tu aimes trop les voitures”.
De fil en aiguille, cet ami me présente une de ses connaissances et je livre ma première Ferrari 328 GTS en 1984. Mon travail consiste alors à livrer des voitures, à entretenir le contact avec les clients en même temps… Voilà donc quarante ans que je baigne dans l’univers de l’automobile et vingt ans que j’ai fondé Modena, ici, à Genève. »
Mercedes, Fiat, Jaguar, Rolls, Bentley, Maserati : Gino connaît bien toutes ces marques, mais celle qu’il a dans la peau, c’est et ce sera pour toujours Ferrari. Dans le courant de l’année 2003-2004, la marque au cheval cabré lui propose d’ouvrir une concession à Genève : « Imaginez-vous quelle était ma réaction ! C’est quand même un gros morceau. J’ai demandé un temps de réflexion et finalement, j’ai accepté. J’ai tout vendu : mon appartement, ma première Ferrari ; je suis arrivé à Genève “à poil”, pour ouvrir Modena Cars ». L’ouverture, en novembre 2004, se fait en grande pompe et surtout en excellente compagnie ; on compte parmi les invités Jean Todt et Michael Schumacher. « À partir de ce moment-là, je me suis engagé à promouvoir et à défendre les couleurs de Ferrari, nous rappelle Gino Forgione. » Il rêve d’une concession à 360 degrés où la marque est reine. Le pari est tenu : chez Modena Cars, on vend neuf et d’occasion, on répare, on entretient, on restaure, on gardienne — en somme, on anticipe les désirs de la fidèle clientèle Ferrari depuis toujours. La concession est l’une des premières à être certifiée en tant qu’atelier de restauration officielle en Suisse Ferrari Classiche. En 2010, on inaugure les nouveaux locaux de Modena Cars à Plan-les-Ouates qui, à son tour, devient la première concession à présenter le nouveau C.I. Ferrari. L’Avvocato Luca Di Montezemolo le voit pour la première fois, en direct.
« Lorsque j’y repense — que je retrace tout ce parcours —, je me dis que le rêve Modena Cars, c’était de l’inconscience totale. Tout s’est joué au feeling. Mais si je devais tout refaire aujourd’hui, je ne changerais rien ; je n’ai pas de regret. Et puis — c’est important de le souligner —, sans les collaborateurs que j’ai, je n’y serais jamais arrivé, sincèrement. Je n’aurais pas pu donner naissance à Modena Cars tout seul, sans des gens passionnés, sans leurs compétences et sans leur patience, sans leur développement… je n’aurais pas pu le faire.
L’amour fou du volant
Lorsque Gino Forgione nous parle de bolides, il parle d’expérience : derrière le costume de business man se cache le pilote chevronné. « La course fait partie de mon ADN. À tel point d’ailleurs que j’ai créé un club d’amateurs au sein du garage. Ça me tenait à cœur de réunir les passionnés, de créer quelque chose de convivial. En somme, je veux apporter une valeur ajoutée à une marque qui n’a pas besoin de valeur ajoutée. On entre chez Modena comme chez un ami, pour parler voiture, pour admirer, pour partager. Mais au-delà de ça, il faut la vivre, cette passion — la vivre, et la partager. C’est fondamental pour moi. »
Derrière le garage, un art de vie autour de la passion automobile s’est mis en place : de la transmission des savoir-faire à l’organisation d’événements internationaux, en passant par la mise en commun de collections de voitures anciennes et de modèles taillés pour la course, l’engagement du garage n’est pas près de s’essouffler. Une chose est certaine, M. Forgione et les membres de la communauté Modena Cars ne font pas les choses à moitié : pour la troisième année consécutive, Gino participe à l’organisation des Évents d’Abu Dhabi et de Dubaï où ils ne manquent jamais de retrouver des visages familiers. « C’est un petit monde, vous savez. » Au programme : deux jours de circuit, ensemble, à faire vibrer les amis clients du Club des Cavalieri en leur offrant la possibilité de vivre des émotions fortes en toute sécurité.
Lorsqu’il file à toute allure sur l’asphalte, Gino Forgione est dans son élément. Le pilote a de la bouteille et pourtant, aujourd’hui encore, il s’étonne du chemin parcouru : « J’ai fait ce que je voulais faire. Jamais je n’aurais pensé que je ferais tout ça : j’ai créé une concession Ferrari, restauré une 250 SWB Competizione, — un modèle iconique dans l’histoire Ferrari —, j’ai conduit des Formule 1, j’ai couru avec Ferrari, j’ai gagné avec Ferrari. Aujourd’hui, la seule chose qu’il me reste à faire avant de raccrocher mon casque, c’est les 24 Heures du Mans. »
En déroulant le fil des souvenirs, M. Forgione nous parle de deux événements qui ont profondément marqué sa carrière : sa première victoire aux 24 Heures de Barcelone en 2016 — premier de sa catégorie et troisième au classement général —, et cette fois où il a eu la chance de conduire la Formule 2004 de Michael Schumacher, à Fiorano. « Ces émotions, c’est quelque chose que je ne peux pas décrire, nous confie le pilote. Une Formule 1, ce n’est pas une voiture avec laquelle on peut rouler doucement, hors de question ! On m’a recommandé de rouler avec des pneus de pluie en me disant : “tu verras, la voiture va vite te prendre”. Au bout de cinq tours, ils m’ont arrêté — je me suis vite laissé griser par la vitesse — “Gino, step by step!”, me disait-on. La voiture allait plus vite que moi : elle accélérait avant que j’accélère, freinait avant que je freine, tournait avant que je tourne… Et ça, c’est un sentiment assez incroyable. Si je suis un amoureux de la vitesse et des sensations qu’elle procure ? Ah oui, complètement fou amoureux ! »
Le monde competizione
Lorsqu’on demande à Gino d’où lui vient son obsession pour le Cavallino Rampante, il nous répond simplement : « c’est fusionnel ! Depuis toujours, les voitures me plaisaient et je regardais les Grands Prix, ça me passionnait, mais ça aurait très bien pu tomber sur autre chose. Quand je regardais la télévision le matin, plus jeune, c’était soit le ski, la course ou la messe — j’ai choisi Ferrari et son monde. Je suis allé voir les premiers Grands Prix et je suis tombé chez Ferrari un peu par hasard. J’imagine aussi qu’en tant qu’Italien passionné, j’ai eu cette affinité particulière avec la marque. Ça a vraiment été une question d’amour avec Ferrari, avec les gens ; j’ai fait beaucoup de belles rencontres. Je crois que c’est une maison qui vous marque au fer rouge. Aujourd’hui, je ne connais pas une marque qui a fait preuve d’un tel dynamisme durant les vingt dernières années. Pour ma part, je suis comblé ; je n’en aurais jamais tant espéré. Avec Ferrari, j’ai vécu des choses que je n’aurais pu vivre avec personne d’autre. »
Le simple nom de Ferrari a de quoi faire tourner des têtes : son pouvoir évocateur et son prestige sont immenses. Pourtant, à entendre parler Gino, on est bien loin des clichés du luxe tapageur et tape-à-l’œil : « Bien sûr qu’on parle de luxe lorsqu’on parle de Ferrari, mais il y a quand même une sensibilité à avoir, une attention particulière pour ne pas tomber dans l’arrogance. Certes, c’est une marque avec une puissance phénoménale, mais la représenter est une grande responsabilité. Nous nous appliquons, mes collaborateurs et moi, à mettre en lumière notre savoir-vivre, notre humanité. Je mets un point d’honneur à ce que chaque pèlerin qui pousse la porte de Modena Cars soit accueilli avec bienveillance. »
Si le Cavallino Rampante est un monstre sacré, M. Forgione souhaite aussi le rendre accessible. Pour cela, il œuvre à transmettre son héritage, son histoire et les valeurs qui l’accompagnent, montrer sans ostentation ses modèles qui ont tout pour faire rêver, et resserrer, jour après jour, les liens tenaces qui relient ses amis et sa fidèle clientèle.
Vingt ans dans les rétroviseurs mais les yeux sur l’avenir
Parmi tous les défis qu’a rencontrés le fondateur de Modena Cars au cours de sa carrière, le plus grand restera de piloter les relations humaines qui rythment son métier. « Tout est toujours une question d’humains, renchérit-il. Ferrari a toujours dit que les usines sont pleines de murs, de machines et d’hommes, et sans les hommes, on ne fait rien. Pour ma part, je n’aurais rien pu accomplir tout ce que nous avons fait en vingt ans sans l’aide de mes collaborateurs. C’est probablement la chose la plus importante que je retire de mon parcours. »
En effet, si c’est bien la fièvre des bolides et des courses qui fédère la sphère Modena Cars, la raison d’être et la singularité de la concession sont ailleurs : ici, on ne vend pas des voitures, mais bien des expériences et des services, un sens de l’hospitalité, un accompagnement, une proximité entre l’équipe et la clientèle, le tout dans le respect quasi religieux des valeurs de Ferrari. « On a toujours privilégié le partage, notre maître mot. Une voiture, on peut l’acheter n’importe où ; un service ou une belle relation en revanche, on ne l’achète pas, on la reçoit. »
Mais assez parlé du passé ! Gino Forgione n’est pas un nostalgique dans l’âme et il n’a aucunement l’intention de s’endormir sur ses lauriers. « Ma responsabilité la plus grande, c’est de continuer », nous confie-t-il. L’avenir de Modena Cars est encore à écrire et les possibilités sont immenses. De nouveaux challenges attendent déjà les acteurs du monde automobile, mettant à l’épreuve l’ingéniosité des hommes et la performance des machines. Pour Gino, la nature de ses enjeux ne fait pas de doute : « Préserver les prouesses techniques des voitures traditionnelles et les allier à la modernité de la voiture électrique. Je pense que ce sera, pour l’avenir, un formidable défi. »
Par Eduardo Costerg
© photos Johann Sauty